Intervention, Langage - Dév., Langage écrit, Préscolaire, Scolaire, trouble développemental du langage

10 principes à garder en tête lors d’une intervention en narration

Ce résumé a été rédigé par Julie Cattini. Julie est orthophoniste au Luxembourg, elle adore lire des articles pour mieux prendre en charge ses patients et elle aime aussi partager ses lectures. Un énorme merci à Julie pour toutes ses contributions au blogue! 

Titre de l’article : Narrative Intervention: Principles to Practice (Spencer & Petersen, 2020)

Qu’est-ce que le langage narratif ?
Langage exprimé dans le contexte d’une histoire.

Qu’est-ce qu’une intervention narrative ?
Intervention langagière qui implique que les enfants racontent ou rappellent des histoires ayant des caractéristiques langagières spécifiques et ciblées par l’intervenant.

Pourquoi en parler ?

  • L’intervention narrative offre un contexte fonctionnel et écologique intégrant le traitement langagier, la pragmatique et l’apprentissage socio-émotionnel.
  • Les données de la littérature montrent que les compétences précoces en langage narratif sont prédictives des résultats scolaires ultérieurs. Une corrélation a été démontrée avec la compréhension orale, le vocabulaire réceptif et l’écriture. La relation entre les compétences narratives orales précoces et la compréhension à la lecture ultérieure (début de l’adolescence) est particulièrement forte.
  • Il existe des preuves de relations causales entre les interventions narratives et les résultats en matière de compréhension à la lecture et l’écriture (Gillam et al., 2022).
  • L’étude de Brinton et Fujiki (2019) montre qu’une intervention narrative favorise le traitement langagier, la pragmatique et l’apprentissage social et émotionnel chez les TDL. De plus, les évaluations par les enseignants ont montré une amélioration du comportement prosocial et l’orthophoniste de l’école signale une amélioration du langage narratif expressif et de la syntaxe.
  • Des recherches récentes montrent qu’une intervention narrative orale a un impact direct sur la qualité des récits écrits produits par les enfants (avec ou sans difficultés). Ce transfert de compétences serait possible car la structure narrative et les habiletés langagières enseignées et pratiques évolueraient vers un schéma cognitif qui se généraliserait à d’autres modalités. L’un des avantages de passer par la modalité orale pour améliorer le langage narratif écrit est d’éliminer l’interférence d’autres compétences potentiellement retardées ou émergentes liées à la transcription (e.g. graphisme, orthographe).

Objectifs de l’article

  • Fournir des preuves empiriques,
  • Partager des idées cliniques
  • Surligner la polyvalence, la puissance et la pertinence de l’intervention narrative.

Hiérarchisation des conditions narratives

Pour faciliter le développement des structures narratives transférables et pertinentes sur le plan scolaire et social, il est nécessaire de faire preuve de stratégie et planification. À long terme, l’objectif est que l’enfant utilise le langage narratif (forme et contenu) de manière  flexible et pragmatique. Les diverses conditions dans lesquelles se déroule la narration forment un continuum allant de plus simple à plus compliqué :

Figure de l’article (traduction maison)

N.B. : cette proposition de hiérarchisation peut ne pas s’appliquer à un patient au regard de son profil (ex. : le rappel d’une histoire peut être difficile pour un enfant présentant un trouble de la compréhension).

Images

Par images, les auteurs font référence à l’utilisation d’illustrations qui accompagnent l’histoire (dans des livres, des histoires en séquence, des dessins qu’on ferait avec l’enfant, etc.) ou à l’utilisation de pictogrammes qui présentent les éléments de la macrostructure. Ces images (illustrations de l’histoire ou pictogrammes) peuvent être utilisées pour modifier les exigences de la narration, selon l’objectif de l’intervention narrative et les capacités de l’enfant.

Proposition de progression

Les auteurs proposent de suivre la progression suivante :

  1. Rappel d’histoires pour acquérir une structure narrative adaptée en modalité orale
  2. Production d’histoires personnelles en modalité orale
  3. Production d’histoires fictives en modalité orale
  4. Travail en modalité écrite

Mais…

  • Les tâches scolaires auxquelles les compétences narratives devraient se généraliser ne font pas toutes appel à des éléments visuels
  • Les images illustratives et les symboles ne sont généralement pas disponibles dans les contextes sociaux
  • Des recherches suggèrent que les enfants TDL racontent des épisodes plus complets et incluent davantage d’unités d’information lorsqu’ils écoutent des histoires sans images, par opposition à des histoires présentées oralement et avec des images.

Il est donc important 1) d’utiliser les éléments visuels de manière stratégique, 2) de prévenir la dépendance à leur égard et 3) de promouvoir la généralisation des compétences en matière de narration à des contextes plus naturels et plus sophistiqués.

Avant tout : Un choix éclairé et argumenté

Le choix des objectifs du programme d’intervention doit se baser sur une évaluation valide, fiable et pertinente. Les résultats vont ensuite guider la sélection des paramètres d’intervention spécifiques. L’orthophoniste est responsable de l’utilisation d’évaluations ciblées, de la conversion des données d’évaluation en objectifs et de la prise de décisions judicieuses quant à l’opportunité de travailler sur la structure narrative ou sur le langage complexe, sur le rappel ou la production, sur les histoires personnelles ou fictives, ainsi que sur le type et le moment d’utilisation des étayages.

Image de storyset sur Freepik

10 principes d’intervention pour les interventions narratives

1. Construire la structure de l’histoire avant le vocabulaire et le langage complexe

Pour travailler efficacement sur la syntaxe, le vocabulaire académique (ou n’importe quoi d’autre) pendant la narration, il est utile que les enfants soient capables de raconter et de redire des histoires simples. Une fois qu’un enfant peut produire la structure narrative de base, la narration devient le contexte pour enseigner une grande variété d’autres compétences.

Si l’enfant n’est pas capable de raconter ou rappeler une histoire avec une structure narrative correcte à un niveau minimal, les auteurs recommandent de débuter par cet objectif.

2. Utiliser des exemples multiples pour promouvoir la métalinguistique et la généralisation

Pour l’intervention narrative, cela consiste à utiliser plusieurs histoires différentes avec les mêmes éléments de structure narrative pour l’enseigner. Si l’objectif de l’intervention était de permettre à l’enfant de raconter ou de redire une histoire spécifique, alors pratiquer la même histoire encore et encore fonctionnerait bien. Cependant, cela pourrait limiter la généralisation en favorisant la mémorisation d’une histoire. Pour promouvoir la généralisation, plusieurs exemples devraient être utilisés comme modèles dans des sessions d’intervention consécutives. La multiplication des exemples favorise l’abstraction du modèle par les enfants. La connaissance de ce schéma et la capacité à décrire le modèle des histoires (c’est-à-dire nommer le personnage, le problème, le sentiment, l’action et la fin) sont des compétences métalinguistiques.

3. Promouvoir une participation active

Depuis des décennies, il est clairement établi qu’une participation active de l’enfant permet d’avoir davantage d’opportunités d’apprentissage. Pour un maintien à long terme des compétences ciblées, les enfants ont besoin d’occasions répétées de pratiquer. Une pratique ciblée, soutenue par de la modélisation et des rétroactions correctives, améliore la capacité des enfants à utiliser les compétences spontanément.

Dans le cadre des interventions narratives, les enfants doivent donc avoir de nombreuses occasions de raconter ou de redire des histoires et, non uniquement, de les écouter.

4. Contextualiser, décomposer et reconstruire les histoires

La narration est utilisée pour offrir un contexte de communication intentionnelle et ayant du sens. Ces objectifs ne doivent pas être perdus de vue au cours de l’intervention.

Il pourrait être tentant d’éliminer le contenu des histoires que les enfants ne sont pas encore capables de raconter de manière autonome. Toutefois, il existe plusieurs raisons de conserver tous les principaux éléments d’une histoire :

  • La compréhension d’un récit narratif est facilitée par la relation entre les différents éléments de la structure narrative ;
  • L’omission de composants de l’histoire ne permet pas à l’enfant de détecter des relations causales et temporelles ;
  • Bien que les jeunes enfants puissent parler de personnages et de décors, la narration ne devient pas une histoire tant que l’enfant n’associe pas un événement déclencheur à une tentative et à une conséquence (cause et effet).
  • Si l’objectif de l’intervention narrative est d’enseigner la structure narrative, il est nécessaire que chaque histoire adhère au schéma de la structure narrative, sinon les compétences métalinguistiques ne seront pas acquises.

Les auteurs recommandent :

  1. L’utilisation d’histoires comprenant un minimum un épisode complet (= problème + tentative + conséquence)
  2. Présentation de l’histoire dans sa forme complète et complexe pour fournir les informations contextuelles
  3. Décomposition en morceaux de l’histoire pour fournir des occasions de pratique répétée tout en veillant à maintenir la contextualisation et le sens. On peut poser des questions relatives à structure narrative ou encore demander aux enfants de s’entraîner à raconter une partie à la fois en fournissant plusieurs modèles et une rétroaction pendant la pratique guidée.
  4. Encourager les enfants à intégrer les sous-parties dans une section plus large du récit narratif. Par exemple, après avoir incité un enfant à inclure le sentiment du personnage, on peut lui demander de revenir à l’élément de l’histoire et de redire à la fois le problème et le sentiment, de façon qu’il y ait une cohésion et un but dans la tâche.

5. Utiliser un support visuel pour rendre concrets des concepts abstraits

L’apprentissage des schémas de la structure narrative peut être un processus lent sans l’aide d’un support visuel tels que des symboles ou encore des organisateurs graphiques.

Exemple des symboles utilisés dans le programme Story Champs :

Exemple des symboles utilisés dans le programme ONIP de Glisson et al. (2019) :

Les supports visuels peuvent être un outil efficace, en particulier lors de l’introduction d’une nouvelle histoire. Ils peuvent également être utilisés pour rendre des concepts abstraits tels que la structure des histoires et les caractéristiques linguistiques plus tangibles et plus concrètes pour les enfants.

Toutefois, il faut faire preuve de prudence et planifier la diminution progressive des aides visuelles.

6. Fournir une rétroaction corrective immédiate

Une rétroaction corrective efficace présente trois caractéristiques principales :

  1. Focus sur ce que l’enfant devrait faire et minimiser l’attention accordée à la réponse incorrecte. Pourquoi ?
    – Les enfants ont besoin d’informations sur leurs performances et sur les améliorations possibles
    – Cela incite les enfants à produire la production de la réponse correcte
    – C’est une occasion supplémentaire de fournir un modèle
  2. Correctif immédiat et contingent aux réponses données par l’enfant : les auteurs suggèrent de ne pas attendre que l’enfant ait terminé de raconter l’histoire avant d’offrir de la rétroaction. Si l’enfant omet le problème, on le souligne dès que le problème aurait dû être mentionné et le récit continue par la suite.
  3. Spécifique : une rétroaction précise est fournie concernant l’erreur afin que l’enfant puisse reformuler ou bénéficier d’un modèle exact (offrant l’occasion de répéter)

7. Utiliser des indices efficaces et efficients

Les auteurs proposent un modèle d’indiçage à deux niveaux :

  1. Utiliser des questions telles que « Comment Jean se sentait-il par rapport à son problème ? » ou « Qu’a-t-il fait pour résoudre le problème ? » car elles dirigent l’attention de l’enfant vers la partie spécifique de l’histoire qui doit être racontée.
  2. En cas d’échec, attendre quelques secondes, proposer un modèle tel que « Jean était triste parce qu’il s’est coupé le genou. Maintenant, tu le dis ».

8. Différencier, individualiser et enrichir

Il est important de définir les exigences de la tâche d’intervention (e.g. raconter, répondre à des questions, manipuler des images) en fonction des objectifs de chaque enfant et d’utiliser le modèle d’indiçage à deux niveaux de manière flexible. L’intervention narrative peut viser des objectifs différents selon les besoins de l’enfant : structure narrative, vocabulaire complexe, morphosyntaxe, compétences sociales, etc.

9. Prévoir des opportunités de généralisation

Pour maximiser l’effet de l’intervention, il est recommandé de planifier les possibilités de généralisation. Par exemple, il est possible de créer des activités permettant de mettre en pratique les cibles narratives dans d’autres contextes et consulter les enseignants sur la manière de faciliter leur utilisation. Des activités peuvent être envoyées à la maison pour que les enfants puissent raconter les histoires aux membres de leur famille.

Image de storyset sur Freepik

L’important est que la généralisation ne soit pas laissée au hasard. Le fait de la planifier accélérera l’acquisition et le maintien des compétences acquises et favorisera leur utilisation dans des contextes fonctionnels.

10. S’amuser

Les interventions narratives sont une occasion de pratiquer le langage sans avoir l’impression de travailler car les enfants ont naturellement envie de parler d’eux-mêmes et de leurs expériences. Les auteurs fournissent quelques suggestions pour rendre les interventions narratives stimulantes :

  1. Lorsque l’enfant raconte, exagérer les expressions faciales, les commentaires et réaliser des expansions
  2. Intégrer des jeux et de la compétition (sans que cela ne détourne l’attention)
  3. Utiliser des accessoires, des marionnettes ou des mouvements liés aux histoires.

Cet article de Spencer & Petersen (2020) offre un avis d’expert complet concernant les principes d’intervention à respecter lors de la mise en place d’une intervention narrative.  Nous invitons le lecteur intéressé à lire l’article disponible en libre accès.

Dans mon bureau : 

√ Je réfléchis à la possibilité de mettre en place une intervention narrative pour mes patients si cela ne fait pas partie de ma pratique

√ Je réfléchis à la progression des activités que je propose en tenant compte du niveau de difficultés selon la modalité, le type de récit, la présence d’un support, etc.

√ Je définis clairement mes objectifs pour adapter la rétroaction , les indices, les demandes directes formulées à mon patient et mes supports

√ J’anticipe les activités à mettre en place pour favoriser la généralisation et je discuter des possibilités de relais avec la famille et/ou l’équipe pédagogique

Référence complète

Spencer, T. D., & Petersen, D. B. (2020). Narrative Intervention: Principles to Practice. Language, Speech, and Hearing Services in Schools, 51(4), 1081–1096. https://doi.org/10.1044/2020_LSHSS-20-00015

Matériel en libre accès pour travailler les compétences narratives (merci à Lucie Macchi et Guillaume Duboisdindien la diffusion de ces ressources)

  • 31 vidéos muettes pour travailler le récit (il y a des activités associées mais en anglais) : https://www.speechtherapystore.com/wordless-videos-to-teach-problem-solving/
  • Simon’s Cat : https://www.youtube.com/user/simonscat Le chat de Simon est une série animée qui met en scène les pitreries malicieuses et souvent hilarantes d’un gros chat blanc et de son maître Simon, des histoires auxquelles tout propriétaire d’animal de compagnie peut s’identifier ! Ces vidéos représentent un excellent support pour des activités de récit. Vous pouvez leur attribuer un niveau de complexité selon le nombre de protagonistes, d’actions, de références implicites, etc.
  • Pepper & Carrot, cette bande dessinée jeunesse libre de droits, en accès gratuit, sur internet, peut également représenter un support pour des activités de récit. Il s’agit des aventures d’une apprentie sorcière. Les épisodes 2, 5, 10, 15, 20, 25, 30 sont sans paroles et sans bulles. https://www.peppercarrot.com/fr/
  • Une ressource d’images pouvant servir de sources d’inspiration pour la production de récit narratif : https://www.onceuponapicture.co.uk/

Références complémentaires

Brinton, B., & Fujiki, M. (2017). The power of stories: Facilitating social communication in children with limited language abilities. School Psychology International, 38(5), 523–540. https://doi.org/10.1177/0143034317713348

Gillam, S. L., Vaughn, S., Roberts, G., Capin, P., Fall, A.-M., Israelsen-Augenstein, M., Holbrook, S., Wada, R., Hancock, A., Fox, C., Dille, J., Magimairaj, B. M., & Gillam, R. B. (2022). Improving oral and written narration and reading comprehension of children at-risk for language and literacy difficulties: Results of a randomized clinical trial. Journal of Educational Psychology. https://doi.org/10.1037/edu0000766

Glisson, L., Leitão, S., & Claessen, M. (2019). Evaluating the efficacy of a small-group oral narrative intervention programme for pre-primary children with narrative difficulties in a mainstream school setting. Australian Journal of Learning Difficulties, 24(1), 1–20. https://doi.org/10.1080/19404158.2019.1596138

9 réflexions au sujet de “10 principes à garder en tête lors d’une intervention en narration”

  1. Bonjour, merci pour cet article.

    Est-ce que ces recommandations concernent aussi les interventions visant le travail du langage complexe, ou est-ce qu’elles concernent surtout les interventions visant le travail de la structure narrative ?

    Par exemple en termes d’utilisation raisonnée des images, de progression à des tâches plus complexes, de généralisation à d’autres histoires…

      1. Je précise encore ma question, pardon si ce n’était pas clair : est-ce que ces recommandations concernent bien le travail des habiletés narratives de manière générale (que l’on travaille la macrostructure, les référents, les phrases complexes ou le vocabulaire complexe, etc.) et pas seulement l’apprentissage de la macrostructure ?

      2. Bonjour, désolée pour ma réponse incomplète 😅.
        L’article concerne seulement la macrostructure. Pas les autres composantes (phrases complexes, anaphores) qui peuvent également être ciblés dans un contexte de narration. Merci encore de votre question qui m’a permis de préciser.

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