Préscolaire, Scolaire

Faire des grimaces, est-ce que ça aide à parler ?

Titres des articles: 

A Nationwide Survey of Nonspeech Oral Motor Exercise Use: Implications for Evidence-Based Practice (Gregory Lof et Maggie M. Watson, 2008)

The Application of Evidence-Based Practice to Nonspeech Oral Motor Treatments (Norman J. Lass et Mary Pannbacker, 2008)

Nonspeech Oral Motor Treatment Issues Related to ChildrenWith Developmental Speech Sound Disorders (Dennis M. Ruscello, 2008)

Pourquoi on s’y intéresse ? : Parce que malgré leur présence dans la pratique orthophonique, les exercices non-verbaux restent controversés. Parce qu’on entend encore souvent que souffler pour faire des bulles, ça aide à parler. Parce que nos clients méritent des interventions dont l’efficacité a été démontrée et que, (comme vous pourrez le lire!), on ne trouve pas dans la littérature récente d’évidences qui prouvent l’efficacité des exercices oraux non-verbaux (ex.: souffler, étirer les lèvres, sortir la langue, masser les joues, utiliser des objets qui vibrent pour stimuler etc.) pour intervenir auprès des enfants avec des difficultés phonologiques ou langagières. La preuve (multipliée par trois!) dans le présent billet. 

Un brin de méthodologie : Les trois articles ont une méthodologie différente. Ruscello (2008) définit les types d’exercices non-verbaux qui existent, examine les postulats qui ont été émis pour les justifier et met ces prémisses en parallèle avec les données de recherche les plus récentes. Lof et Watson (2008) quant à eux résument les résultats d’un sondage complété par des orthophonistes sur l’utilisation qu’ils font des exercices non-verbaux. Enfin, Lass et Pannbacker (2008) ont réalisé une étude appliquant la pratique basée sur les évidences afin de déterminer si les exercices non-verbaux sont pertinents à utiliser en clinique.

 

Résultats  : 

Ruscello (2008)

Pour les enfants avec des retards/troubles phonologique/de langage d’origine développementale, on indique que les prémisses autour de l’utilisation des exercices non-verbaux reposent sur des conceptions que les recherches récentes invalident. Il n’y aurait pas de patrons moteurs partagés entre les différentes fonctions des muscles (parler, manger, grimacer, etc.). Il n’y aurait pas non plus de déficit musculaire chez les enfants qui ont des difficultés phonologiques uniquement. Enfin, les acquis réalisés en mouvements non-verbaux ne se transféreraient pas dans la parole. Ainsi, l’idée qu’on stimule la même chose en soufflant (il faut arrondir les lèvres) qu’en prononçant le son « ou » (il faut aussi arrondir les lèvres) est fausse. Très tôt dans la vie de l’enfant, différents patrons moteurs sont utilisés pour réaliser ces deux actions. Ceci est valide pour toutes les activités autres que la parole : mouvements de la langue qui visent à « renforcer » les muscles, massage des lèvres pour « réveiller » leur sensibilité, etc.  Pour résumer les conclusions de l’article, rien ne stimule dans le cerveau la même chose que l’action de parler (sauf parler) ! Pour plus d’informations, lire l’article. L’auteur parle des toutes les sortes d’exercices non-verbaux (température, massage, action passive ou active, etc..). Plusieurs recherches ayant étudié le lien entre les exercices non-verbaux et l’amélioration de la parole sont résumées à la fin de l’article. L’auteur précise que pour les enfants avec une dysarthrie (pour lesquels le retard de langage est d’origine motrice plutôt que développementale), une intervention sur les muscles pourraient aider la parole. Pour les enfants avec des difficultés phonologiques par contre, ces exercices non-verbaux ne sont pas efficaces.

Lot et Watson (2008)

Le sondage auprès des orthophonistes américaines (au nombre de 537) travaillant auprès d’enfants de 0 à 11 ans. Voici certains résultats de l’étude, en rafale :

– 60% croient que la parole prend appui sur les mouvements oraux précoces (ex. : mâcher), malgré le fait que la recherche démontre le contraire. Les auteurs indiquent même que les exercices non-verbaux pourraient interférer de manière négative avec la parole.

– Les exercices les plus utilisés sont 1) souffler, 2) pousser avec la langue sur un bâton, 3) alternance bec-sourire. Toutefois, les auteurs soulignent que la position des articulateurs pendant qu’on souffle n’est équivalente à aucune position des articulateurs pendant la réalisation d’un phonème. Également, aucun son ne nécessite une force si élevée de la langue ou une protrusion si loin des lèvres.

– Les orthophonistes sondées disent utiliser les exercices non-oraux pour améliorer la force des muscles qui servent à la parole. Les auteurs rapportent par contre que lorsqu’on veut entraîner un muscle, il faut lui faire faire de multiples répétitions jusqu’à « épuisement ». Les auteurs doutent du fait que les orthophonistes respectent ce critère.

– 68% des orthophonistes utilisent les exercices non-verbaux pour « réchauffer » les muscles malgré le fait que les recherches indiquent que réchauffements sont utiles lors d’une activité qui sollicite le système à son maximum; ce qui n’est pas le cas pour la parole.

Les auteurs rapportent une étude indiquant que l’ajout d’exercices non-verbaux à d’autres types de thérapies pour les difficultés phonologiques (phonétique, phonologique ou hybride) ne donne pas de meilleurs résultats. Certains chercheurs soutiennent aussi que les exercices non-verbaux pourraient nuire à la thérapie orthophonique de certains enfants.

Lass et Pannpacker (2008)

De prime abord, les auteurs soulignent que la pratique basée sur les données probantes remet en question « ce que l’on sait des traitements efficaces » pour intervenir auprès des personnes avec un trouble de la communication et des « critères pour décider de ce que l’on sait ». Ils répertorient les recherches qui ont étudié l’impact des exercices non-verbaux sur la parole et spécifient le niveau de preuve de chaque étude. Les niveaux de preuve sont faibles et la majorité des études ne répertorie pas d’impact sur la parole. Les auteurs soulignent que l’utilisation d’interventions dont l’efficacité est reconnue donnera de meilleurs résultats et réduira le temps consacré à des interventions inefficaces.

Dans mon bureau: 

√ Si je suis à la recherche d’interventions efficaces ou si je suis à court d’idée pour intervenir auprès d’un client avec des difficultés phonologiques ou langagières, je consulte d’autres articles qui présentent des interventions ayant fait leurs preuves (par exemple, combinaison d’approches sensorielles/motrices et métalinguistiques mentionnées dans le billet ‘‘La dyspraxie, tout court!’. (Vous pouvez aussi poser votre question sur un cas ou une clientèle précise dans la section « Vos questions«  et nous tenterons d’y répondre !) Attention, approches sensorielles/motrices (aider l’enfant à placer les articulateurs, donner des indices auditifs/tactiles/sensoriels pour aider à produire une cible) n’égale pas approches motrices non-verbales.

  √ Devant les résultats de ces recherches, je m’abstiens d’inclure ces exercices en thérapie pour la rééducation de difficultés sur le plan phonologique. Comme les articles le suggèrent, je prends appui davantage sur les recherches que l’expérience, l’intuition ou sur les témoignages d’expert.

 √ Certains parents pourraient demander à ce que ces exercices soient effectués en orthophonie parce qu’une orthophoniste précédente les utilisait, ils ont lu des informations en ligne appuyant ces exercices non-verbaux, beaucoup de matériel existe à cet effet, ce sont des exercices faciles à reprendre à la maison, ou pour toutes autres raisons. À ce sujet, voici un petit document intéressant trouvé sur le web, présenté par des chercheurs à une conférence de l’ASHA en 2011, qui permet de vulgariser tous les résultats actuels sur l’inefficacité des exercices moteurs non-verbaux aux parents. Disponible gratuitement en ligne ici: Parent‐Friendly Information about Nonspeech Oral Motor Exercises. Les réponses données aux questions courantes sont toutes appuyées par de la littérature et des références précises listées à la fin du document !

√ Nous conseillons aux sceptiques comme aux convaincus de lire ces trois articles. Vous y trouverez une panoplie d’arguments supplémentaires contre l’utilisation des exercices oraux non-verbaux lors de thérapie auprès d’enfant avec des difficultés phonologiques / langagières et pourrez en parler à vos collègues et patients pour mieux justifier les interventions choisies.

Références : 
Lof, G.L., & Watson, M. (2008).  A nationwide survey of non‐speech oral motor exercise use: Implications for evidence‐based practice. Language,
Speech and Hearing Services in Schools, 39, 392‐407.  
Lass, N. J. & Pannbacker, M.(2008). The Application of Evidence-Based Practice to Nonspeech Oral Motor Treatments. Language, Speech & Hearing Services in Schools. Vol. 39 Issue 3, p408 
Ruscello, D.M. (2008). Nonspeech oral motor treatment issues related to children with developmental speech sound disorders. Language, speech, and hearing services in schools. doi:10.1044/0161-1461(2008/036)
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7 réflexions au sujet de “Faire des grimaces, est-ce que ça aide à parler ?”

  1. Bonjour,
    Est ce que cela s’applique également pour la rééducation de troubles articulatoires isolés d’origine fonctionnelle, comme un sigmatisme interdental par exemple ??

    1. Les auteurs ne se prononcent pas sur cette problématique particulière. Toutefois, pour tous les types de difficultés, les règles sont les mêmes à savoir qu’il est difficile d’évaluer l’hypotonie/dysarthrie. Aucune norme ou technique d’évaluation ne sont encore disponibles pour évaluer la force des muscles nécessaires à la parole. Il n’y aurait pas de consensus sur ce sujet. Aussi, si on désire renforcer un muscle, il faut procéder de la même manière peu importe le muscle. Donc, faire le mouvement jusqu’à « épuisement » du muscle (comme lorsqu’on veut muscler nos bras par exemple). Sans cette composante, il n’est pas possible de renforcer les muscles.

  2. Bonjour,
    je n’arrive pas à accéder à l’article proposé: Parent‐Friendly Information about Nonspeech Oral Motor Exercises. Serait-il possible de l’obtenir autrement ?
    Merci beaucoup !

    1. Bonjour,

      Malheureusement, nous ne connaissons pas d’autres méthodes pour avoir accès à ces articles. Nous vous invitons à consulter notre section « Nos sources » pour connaître différents sites qui donnent accès à des articles gratuits. Bonne chance dans vos recherches !

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