Préscolaire, Scolaire

Intervenir efficacement en morphosyntaxe: reformulation ou hiérarchie d’indices?

Ce résumé a été rédigé par Vincent Bourassa-Bédard, orthophoniste. Il pratique au public en milieu scolaire et est aussi étudiant à la Maîtrise M.Sc en Sciences biomédicales – option orthophonie. Un grand merci à Vincent pour sa contribution !

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Titre de l’article

The Effectiveness of Two Grammar Treatment Procedures for Children With SLI: A Randomized Clinical Trial (Smith-Lock, K. M., Leitão, S., Prior, P. et Nickelsa, L., 2015)

Pourquoi on s’y intéresse ?

La reformulation ciblée (recast) est un conseil de stimulation souvent donné par les orthophonistes à l’entourage des enfants pour améliorer leurs habiletés morphosyntaxiques à l’oral. La revue systématique résumée antérieurement a démontré que la reformulation ciblée est plus efficace que les demandes d’imitation immédiate. Néanmoins, est-ce la meilleure intervention à utiliser? Dans l’article résumé dans ce billet, les auteurs ont étudié laquelle des méthodes étaient la plus efficace entre la reformulation et l’indiçage hiérarchique (hierarchy cueing) puisque des résultats contradictoires sont rapportés dans la littérature quant à ses interventions.

Introduction : Reformulation vs. indiçage hiérarchique

Pour que la reformulation seule soit efficace, elle nécessite, selon les auteurs de cet article 1) de bonnes habiletés pragmatiques de la part de l’élève afin de comprendre qu’il a fait une erreur, 2) de bonnes habiletés métalinguistiques chez l’enfant afin de comparer sa production à celle de l’adulte et 3) une attention particulière à la forme de la phrase produite plutôt qu’à son sens.  Or, ces habiletés peuvent être lacunaires chez les enfants présentant un  trouble spécifique du langage (TSL/SLI). Ainsi, les auteurs avancent l’hypothèse que la reformulation ne serait pas l’intervention la plus efficace. Selon les auteurs, un des avantages de l’indiçage hiérarchique (voir procédure plus bas) est que l’enfant est accompagné jusqu’à ce qu’il produise la bonne forme, plutôt que laissé avec une forme erronée.

Un brin de méthodologie

Tel que mentionné dans le titre de l’article, il s’agit içi d’un essai randomisé contrôlé, un type d’étude qui comporte un haut niveau d’évidence scientifique. L’étude a été menée en double aveugle, c’est-à-dire que ni les évaluateurs ni les sujets n’étaient au courant des groupes ni du but de l’étude. 31 élèves (moyenne de 5;1 ans) anglophones, recrutés dans des écoles spécialisées en Australie, ont participé à la recherche. 17 d’entre eux ont participé à la condition de reformulation et 14 à la condition d’indiçage hiérarchique. Les objectifs morphosyntaxiques ont été ciblés en fonction de résultats à deux tests. Les objectifs étaient soit la production du –s possessif, du –ed du passé ou du –s à la troisième personne du singulier. Un test de dépistage phonologique a également été passé afin de vérifier que les enfants sont bel et bien capables de produire les phonèmes cibles. Leurs progrès ont ensuite été mesurés à un intervalle de 8 semaines via le Grammar Elicitation Test.

Semaine 1 : Passation des tests 

Semaine 9 : Après aucune intervention

Semaine 17 : Après intervention

Semaine 25 : Maintien (aucune intervention)

L’intervention (entre le temps 2 et 3) comportait deux parties et avait une durée d’une heure.

  • Intervention en groupe menée par l’orthophoniste
  • Intervention en sous-groupe (la classe était divisée en trois) menée soit par l’orthophoniste, soit par l’enseignant(e), soit par l’éducateur/trice spécialisé(e). Un guide d’activité détaillé accompagnait les intervenants. Tous les intervenants avaient également reçu une formation d’une journée sur le programme.

La méthode de l’indiçage hiérarchique proposée par les auteurs comprend quatre étapes :

  1. Demander une clarification (Ex. : Hein ? Je n’ai pas compris. );
  2. Redire la production de l’enfant en question (Ex. : Il volé son vélo ?? );
  3. Donner un choix entre une bonne et une mauvaise production (Ex. : On dit : « Il volé son vélo » ou « Il A volé son vélo » ? »);
  4. Demander à l’enfant d’imiter de la bonne production (Ex. : Dis-le comme moi : « Il A volé son vélo. »)

Si l’enfant produit la bonne cible après l’étape 1, l’intervenant reprend l’échange. Autrement, l’intervenant tente de passer à l’étape 2 et ainsi de suite jusqu’à ce que l’enfant ait produit la cible correctement.

Afin de déterminer le progrès des élèves, la performance au Grammar Elicitation Test a été analysée.

 Résultats

  • Les deux groupes étaient similaires quant à leurs résultats aux tests standardisés au départ (temps 1).
  • Les deux groupes avaient amélioré leur performance lors de la mesure de maintien (temps 4). Il n’y avait pas de différence entre les groupes pour cette mesure.
  • Individuellement, lors du Grammar Elicitation Test effectué au temps 3, 7/14 enfants (50%) du groupe d’indiçage hiérarchique ont obtenu des résultats significativement plus élevés après le traitement (semaine 17) et 2/17 enfants (12%) pour le groupe de reformulation.
  • Les résultats ne différaient pas selon l’objectif travaillé (ex. : -ed au passé VS –s du possessif)
  • L’article présente d’autres analyses statistiques, mais les auteurs soulignent qu’ils ont poursuivi les analyses malgré le fait qu’aucun effet d’interaction n’ait été trouvé (lien entre l’intervention et les gains de scores obtenus par les élèves). Ces résultats ne sont donc pas présentés dans ce résumé. Nous invitons les lecteurs à la prudence lors de la lecture de l’article, car, malgré qu’aucun effet d’interaction n’ait été trouvé, les auteurs concluent que l’indiçage hierarchique améliore davantage les productions des élèves que la reformulation.

Limites

  • Les auteurs indiquent que leur étude ne permet pas d’identifier quelles étapes de l’indiçage ont permis aux élèves de s’améliorer. Également, il n’est pas possible de savoir quels sont les facteurs personnels qui affectent l’efficacité du traitement (ex. : capacité de compréhension, engagement dans l’activité, etc.)
  • Les auteurs n’ont pas été voir si les enfants avaient généralisé, en contexte spontané, les formes travaillées.

Dans mon bureau

√  J’utilise des interventions qui laissent l’enfant initier l’échange ainsi qu’un contexte qui force l’utilisation des items morphosyntaxiques à pratiquer afin de pouvoir utiliser l’une ou l’autre des méthodes présentées dans l’article (reformulation, indiçage hiérarchique).

√  Lorsqu’un intervenant ou moi corrigeons les productions d’un enfant, je peux utiliser l’une ou l’autre des interventions, puisque les deux sont appuyées par la littérature scientifique à ce jour.

√  J’expérimente les étapes de l’indiçage hiérarchique proposé par les auteurs en thérapie et je peux le proposer comme conseil de stimulation à certains intervenants/parents. Je considère les variables suivantes quand je choisis mes recommandations pour un élève :

  • ses habiletés pragmatiques
  • ses habiletés métalinguistiques
  • sa capacité d’attention

√  Après avoir expliqué ces stratégies, j’offre de l’accompagnement. Les auteurs de l’article notent que bien que les intervenants connaissaient les techniques et, malgré une journée complète de formation et un guide détaillé pour les activités, la procédure restait difficile à appliquer avec constance pour plusieurs d’entre eux. Les intervenants ont beaucoup bénéficié de l’accompagnement direct offert par la chercheure principale. En effet, cette dernière a assisté à une séance et est intervenue directement avec les élèves pour donner des exemples aux intervenants.

√  Lorsque je lis des articles scientifiques, je lis les sections « Méthodologie » et « Résultats » et je porte un regard critique aux statistiques, notamment quand il n’y a pas d’effet d’interaction et que les auteurs poursuivent leurs comparaisons. En effet, la validité des résultats subséquents est questionnable.

Référence complète :

Smith-Lock, K. M., Leitão, S., Prior, P., & Nickels, L. (2015). The effectiveness of two grammar treatment procedures for children with SLI: A randomized clinical trial. Language, speech, and hearing services in schools, 46(4), 312-324.

*L’article est disponible en ligne aux abonnés de la BAnQ.

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